Exposition de Catherine Barthélémy
Qu'y a-t-il de mieux que ce texte (écrit il y a quelque temps déjà) de Lionel Duroy, célèbre écrivain, pour parler de la peinture de Catherine Barthélémy ?

"Cette toile que tu as peinte pour moi, Catherine, en pensant à moi, à mon livre que tu venais de finir, il faut que je te dise combien elle m'a manquée durant deux ans, combien j'ai pensé à elle au point de ne pas dormir certaines nuits, jusqu'à ce mois d'avril 2013 où je l'ai enfin récupérée.
Tu l'as baptisée Le Chagrin, comme mon livre, et il me semble qu'elle m'a été livrée chez moi, à Paris, un matin de mars 2011.
Blandine et moi allions nous séparer très vite. Je suis parti en quelques heures, ivre de chagrin - tu vois comme ta toile arrivait à propos - n'emportant qu'un petit sac, la laissant accrochée dans notre grande pièce. Un jour, j'ai appris par une de mes filles que Blandine l'avait décrochée pour la glisser derrière le canapé. Je me suis rappelée qu'un soir elle m'avait dit qu'elle lui faisait peur, comme je lui faisais peut-être peur moi même, parfois, et en somme elle l'avait cachée.
C'est à partir de ce jour que le désir de la revoir a grandi en moi jusqu'à devenir obsessionnel. Je ne voulais plus retourner là-bas, jamais, et cependant j'ai envisagé d'y revenir clandestinement et de reprendre ma toile, mais nous savions, toi et moi, qu'elle était trop grande pour entrer dans une voiture et il aurait fallu que je la prenne avec moi dans le métro. C'était de la folie. J'ai commencé à ne plus dormir en songeant que le chat, se glissant sous le canapé, allait la détruire. J'ai commencé à faire ce cauchemar, ma toile lacérée, et j'ai su que si la chose survenait je ne m'en remettrais pas. Puis, sous le coup de l'obsession, j'ai pensé qu'il me la fallait pour écrire, que bientôt je ne parviendrais plus à écrire si je ne la revoyais pas - ça faisait trop longtemps, maintenant, et son absence devenait une souffrance.

Deux années après mon départ, j'ai trouvé la force de retourner là-bas. J'ai loué un petit camion, bien trop grand pour le peu d'affaires que j'avais, mais suffisamment long pour que ma toile y entre. Tu n'imagines pas mon soulagement lorsque je l'ai retrouvée intacte derrière le canapé. Mon soulagement, Catherine.
Voilà, c'était fini. Je l'ai enveloppée en tremblant, soigneusement protégée, et je suis parti comme un voleur.
La nuit même, je l'ai accrochée dans mon appartement, à la place que je lui réservais, pratiquement dans l'axe de mon bureau de façon à la voir chaque fois que je lèverai les yeux de mon manuscrit. "Elle ne t'empêchera pas d'écrire", m'avais-tu dit doucement, et comme pour t'excuser, je jour où tu me l'avais présentée dans ton atelier. Elle m'était apparue à la fois tempétueuse et somptueuse, toute la profondeur d'une âme rassemblée là, au milieu d'autres gorgées de soleil. Elle les écrasait de sa sombre présence. Comme je demeurais silencieux, tu avais fini par ajouter : "Si tu ne l'aimes pas, Lionel, prends en une autre, choisis celle que tu veux". Je me demande encore comment une telle idée a pu te traverser.
- Que j'en prenne une autre ? Tu l'as peinte pour moi et j'en prendrais une autre ?
- Je vois comme tu la regardes…
Comme je la regardais, oui. Comme on regarde L'Idiot de Dostoïevski, ou Vie et Destin de Grossman, en songeant qu'une telle œuvre se mérite et qu'il allait me falloir des mois pour entrer petit à petit en elle, puis voyager en elle.
Chaque jour, je voyage en elle, Catherine. Elle me devient plus familière au fil du temps, et cependant il m'arrive encore de découvrir un éclat de lumière que me cachait un nuage et de me demander…
Elle m'accompagne, … je l'aime, j'ai besoin d'elle, je ne pourrais plus me passer d'elle."
